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Habitat illégal et insalubre, barrière de la langue et difficultés d'accès à l'emploi: ce sont les éléments communs qui ont été aux fondements de la rencontre et des échanges d'expériences entre la Ville de Strasbourg et l'administration de Darnitsa à Kiev .
Alors que les autorités locales de Strasbourg se sont penchées sur les problèmes des Roms depuis 2008 avec, aujourd'hui, des résultats concrets, la guerre en Ukraine force depuis quelque temps les populations roms à migrer à Kiev dans l'espoir d'une vie meilleure.
Souhaitant trouver des solutions pour surmonter la situation à Darnitsa et en collaboration étroite avec le groupe d'action communautaire (CAG) et avec le soutien du Programme ROMED2 le chef de l'administration de Darnitsa, M. Gennadyi Sintsov a mené une visite d'étude de trois jours à Strasbourg, entre le 30 mars et le 1er avril 2015. Au programme: des échanges d'expériences, visites de terrains et réunions avec l'Adjointe au Maire de Strasbourg chargée des politiques de solidarité, ainsi qu'avec les acteurs du terrain.
Nous avons interviewé M. Gennady Sintsov (Chef de l'Administration de Darnitsa, Kiev) ainsi que Mme Marie-Dominique Dreyssé, Adjointe au Maire chargée de la solidarité, pour apprendre plus sur la situation des Roms dans les deux municipalités, les solutions envisagées ou déjà mises en oeuvre, ainsi que les leçons tirées de cet échange.
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Gennadyi Sintsov - Chef de l'Administration de Darnitsa, Kiev ROMED: Pouvez-vous, en quelques mots, décrire la situation des Roms à Darnitsa? Quelles sont pour eux les conséquences de la guerre dans l’Est de l’Ukraine? Dans le district de Darnitsa, les Roms vivent dans de très mauvaises conditions, mais cela n’est pas dû à la guerre. Le problème, c’est que les autorités municipales n’ont pas prêté attention aux problèmes des Roms, et ceux-ci ont empirés. Avec la guerre, ces questions sont encore plus mises à l’arrière-plan. Il nous faut donc des personnes pour qui les problèmes des Roms sont la priorité principale. Il est important de comprendre que d’autres questions que celles relatives à la guerre doivent être abordées, et celles relatives aux Roms en font partie. Quelles sont vos motivations pour améliorer les conditions de vie des Roms de Darnitsa? Il me semble que si nous mettons les choses en œuvre correctement avec les Roms, nous améliorerons aussi la situation de la population locale à Darnitsa. Qu’on le veuille ou non, les conditions dans lesquelles vivent aujourd’hui les Roms sont dangereuses pour la santé des enfants et des adultes, et en réglant le problème des Roms, je règle ceux du district de Darnitsa. Si nous ne donnons pas aux Roms la possibilité d’apprendre l’ukrainien ou de trouver un emploi et que nous les laissons vivre dans les conditions qui sont les leurs à ce jour, la criminalité augmentera et la situation entre les Roms et la population locale empirera.Si des personnes s’installent dans notre ville, dans notre voisinage, nous devons créer les meilleures conditions possibles pour leur permettre de se sentir respectées et de s’intégrer à la société ukrainienne. J’aimerais reproduire ce que nous avons vu et entendu à Strasbourg dans notre district. Je crois que toute personne a le droit de vivre dans la dignité, d’avoir accès aux soins et nous devons garantir l’accomplissement de ces droits, pour les Roms également. Je fréquente les Roms depuis mon enfance et je connais bien leur mode de vie. Je sais que nombre d’entre eux travaillent beaucoup et efficacement. Je crois qu’il y a beaucoup de préjugés et une attitude négative envers les Roms dans notre pays. Cela doit changer. A Darnitsa, un groupe d’action communautaire a été créé. Quel est le degré de coopération avec ce groupe? Quelles sont les principales priorités? Nous sommes au début du processus. Nous allons essayer de synthétiser les expériences de différents pays et de différentes régions d’Ukraine. L’expérience de la région de Transcarpatie, par exemple, est différente de la nôtre. Je crois que le plus important pour ce groupe est de répertorier les problèmes auxquels les Roms sont confrontés dans le district de Darnitsa, puis de les synthétiser, les analyser et essayer de les résoudre, avec l’aide d’ONGs et de donateurs. Je pense que le travail du groupe est productif. Et cette visite est d’ailleurs l’un des résultats du travail du groupe. Le représentant du Conseil de l'Europe nous a rendu visite et a découvert notre travail et ses résultats plus en profondeur, et c’est pour cela que le Conseil de l'Europe a décidé de soutenir cette visite à Strasbourg. Dans quelles mesures le dialogue mis en place entre le CAG et votre administration est-il important dans la définition des projets et des activités destinés aux Roms à Darnitsa ? Dans notre administration, nous avons mis en place un groupe de travail spécial sur les questions relatives aux Roms. Ce groupe rencontre régulièrement les membres du CAG et ils planifient leur travail ensemble. Il y a également une personne responsable de la coordination du travail de ce groupe, qui nous tient, mes collègues et moi-même, informés des développements dans leurs travaux. . Quelles relations entretenez-vous avec les autorités régionales et nationales ? Je suis le Chef de l’Administration d’Etat régionale de Darnitsa, à Kiev. Rencontrez-vous des obstacles à vos initiatives pour l’intégration des Roms ? C’est ce que je soulignais précédemment. Il y a de la part de la population locale des préjugés à l’égard des Roms qui sont installés près de chez eux. Ils croient qu’ils volent, propagent des maladies, ne veulent pas travailler ni étudier. Nous devons nous efforcer de changer ces préjugés. Nous devons commencer par cela.
Ensuite, de nombreux problèmes de notre pays sont présentés comme plus importants que ceux des Roms. Il faut d’abord résoudre nos problèmes nationaux, internes, mettre fin à la guerre, fournir un logement social à chaque Ukrainien dans le besoin. Tous ces problèmes sont des obstacles à la résolution des problèmes rencontrés par les Roms. Mais je crois que si nous ne nous attardons pas sur les problèmes des Roms maintenant, et qu’ils continuent à vivre dans de telles conditions, les coups et les efforts pour les résoudre seront, plus tard, beaucoup plus importants.
Comment envisagez-vous le suivi de la visite et le type d’actions que vous pourriez entreprendre après cet échange entre Strasbourg et Darnitsa ?
Je pense que nous devons mettre en œuvre quelques étapes à Darnitsa. D’abord, il nous faut des médiateurs qui nous aideront à mieux comprendre les problèmes des Roms. Des personnes qui ont une bonne connaissance de ces populations et des langues qu’elles utilisent. La communication est le problème principal. Les Roms ne nous comprennent pas.
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Marie-Dominique Dreyssé, Adjointe au Maire chargée de la solidarité, Ville de Strasbourg ROMED: Quelle est votre position au sein de la Ville de Strasbourg et quelles sont vos responsabilités concernant les Roms et Gens du voyage ? Je suis en charge des politiques de solidarités, ce sont toutes les politiques sociales qui recoupent des interventions multiples et très variées, et parmi elles, tout ce qui est précarité et personnes à la rue. Notamment les populations roms migrantes, mais pas seulement. La mission Roms a été créée sous ma compétence il y a deux ans. Pouvez-vous en quelques mots nous parler des projets mis en place par la ville de Strasbourg pour ses populations ? Strasbourg a toujours eu une pratique d’accueil pour les gens du voyage. Nous avons des aires d’accueil conformément à la loi, mais aussi des espaces « sédentarisés », dont un très important sur lequel aujourd’hui est réalisé une opération de résorption d’habitat insalubre ; cela permettra de meilleures conditions de vie pour les personnes, somme toute assez banales, nous construisons des maisons ! Par ailleurs, nous assistons à un phénomène nouveau, c’est l’arrivée de migrants pauvres d’origine rom. Ils se sont installés à Strasbourg dans l’espace public et ont improvisé ce qu’on peut appeler des « bidonvilles », à partir du début des années 2000. Nous avons été confrontés à ce phénomène en 2008, dès notre entrée en responsabilité à la Ville, je l’ai moi-même particulièrement pris en charge. Nous avons décidé d’aborder la question sous l’angle de la pauvreté, de la précarité, des conditions indignes de vie et contraires aux droits de l’homme. De quand date la volonté de la Ville de Strasbourg d’investir et de réaliser des projets pour l’amélioration de la vie de Roms à Strasbourg et qu’a été l’élément déclencheur?Cela a commencé dès 2008 à la découverte de ces bidonvilles, et la rencontre avec M. Thomas Hammarberg, alors Commissaire européen aux droits de l'homme. Une démarche pragmatique s’est engagée, avec un dialogue discret mais sincère avec les forces de l’Etat et les acteurs de terrain. Une médiation sociale a été initiée pendant un an, elle a permis de manière partenariale, avec les services de l’Etat, les différentes associations et les services de la Ville de Strasbourg, de mettre en place toute une dynamique d’approche, de rencontre, de dialogue et d’écoute des populations vivant dans ces bidonvilles. Début 2010, la Ville de Strasbourg a travaillé sur un projet de site temporaire d’accueil qui puisse permettre à ces personnes à la rue, si elles souhaitaient rester à Strasbourg, de rentrer dans des parcours de vie. Ce projet a pris un certain temps et en 2011, le premier site a été inauguré, accueillant plus d’une centaine de personnes. Il est toujours ouvert aujourd’hui. Depuis, nous avons ouvert un deuxième, puis un troisième site. Les personnes commencent alors des parcours, mais elles n’ont pas vocation à rester, ni à s’installer sur le long terme dans ces sites. Grâce à l’accompagnement social mis en place, elles vont chercher leur propre cheminement. La Ville attribue des moyens bien évidemment pour cela. Le fruit de ce travail permet aujourd’hui de constater qu’un processus dynamique est enclenché, avec des familles qui ont accédé à des ressources par le travail, des familles qui ont quitté le site pour vivre dans des logements autonomes. Vous avez parlé de l’écoute de ces populations et ça touche à la question de la participation. Comment le lien est-il fait avec les communautés roms ? Comment sont-elles impliquées dans la prise de décision ?
Dans l’espace public, c’est plus compliqué, bien sûr. Par contre sur les sites temporaires, d’emblée nous avons mis en place des espaces de vie sociale qui permettent une rencontre collégiale tous les mois autour des problématiques que les personnes souhaitent évoquer ou faire émerger. Cela a été un apprentissage, les premières réunions ont été chaotiques et tumultueuses et progressivement, les personnes ont compris que ces espaces de vie sociale étaient le lieu où pouvaient se régler les problèmes du quotidien, être évoquées des questions d’avenir, en particulier celles autour du travail qui ont pris une immense place dans les échanges. Il est toujours intéressant de rencontrer des personnes qui vivent différemment les migrations en Europe. Ce sujet concerne beaucoup de pays, si ce n’est tous les pays européens. Des migrations pauvres qui mettent les personnes elles-mêmes en grande difficulté. Et selon les pays, les droits ne sont pas les mêmes, tout comme l’ampleur des phénomènes. Mais la confrontation des expériences et des actions réalisées, même à 2000 km d’ici et avec toutes leurs spécificités, permet toujours un regard nouveau sur sa propre pratique, de l’interroger et d’apporter dans le dialogue des éléments qui vont enrichir autant nos visiteurs que nous-mêmes, non ? Dans ce genre de discussion, il y a aussi des questionnements par rapport aux obstacles que vous pouvez rencontrer. A Strasbourg, quels sont selon vous les obstacles que vous rencontrez dans la mise en œuvre des différents projets que vous menez ?Les plus grands obstacles ne sont pas d’ordre matériel. Non, c’est le préjugé, le rejet vis-à-vis des Roms, toujours aussi fort aujourd’hui, cet a priori permanent qui rend toujours extrêmement difficiles les démarches ou les premiers contacts avec les employeurs, les hébergeurs, les services. Il y a encore malheureusement, ici et partout en Europe, cette difficulté à imaginer qu’un Rom est quelqu’un comme vous et moi. Cela m’amène à la question de la réaction de la population majoritaire face aux projets mis en place ?La réaction de la population existait quand il y avait des espaces sauvages. Les riverains étaient souvent agacés par cette promiscuité des bidonvilles, et aussi les défenseurs des droits de l’homme qui protestait devant par l’inaction et l’état de fait. Dès 2008, nous avons pris le parti de ne pas faire de publicité sur notre action mais d’agir à bas-bruit, afin d’éviter justement que des protestations s’organisent publiquement et rendent difficiles l’exécution du projet. Ce pari a été gagné, nous avons tenu tout au long de notre action constante depuis 7 ans. En 2012, le gouvernement a publié une circulaire interministérielle portant sur la gestion des sites illicites, avec des fondamentaux que nous portions déjà depuis 4 ans à la Ville de Strasbourg ! Ainsi, à partir de là, une mise en lumière de notre politique publique s’est faite, et notre action s’est réellement et clairement affichée. De plus qu’aujourd’hui, à partir de 2014 et l’arrivée de deux élus du Front national au sein du Conseil municipal, le débat est nécessaire puisque leur opposition systématique, caricaturale et extrême, au soutien que nous apportons aux populations roms, provoquent des réactions épidermiques et exacerbées, en particulier dans les périodes électorales. Mais à vrai dire, notre politique est comprise et a trouvé sa place. Une volonté qui a commencé en 2008 avec une mise en place effective en 2010. Après 5 ans, quel est le bilan ? Les résultats sont-ils plutôt prometteurs ? Y-a-t-il plus de positif que de négatif ?L’action que nous avions mise en place a rempli ses objectifs, et continue de le faire, puisque ce parcours individuel et familial que nous avions imaginé, de l’entrée dans un accompagnement vers l’accès aux droits, la scolarisation des enfants, l’accès à la santé, l’autonomie par des ressources, tout cela fait presque partie de la routine maintenant ! Tout comme l’entrée dans le monde banal du travail et les relations avec les bailleurs sociaux. Ainsi nous pensons que ces dispositifs imaginés de manière pragmatique depuis 7 ans ont pris tout leur sens, ils sont la preuve aujourd’hui, s’il en fallait, pour tous les détracteurs des actions entreprises auprès de la population rom, que les Roms sont des personnes « intégrables dans la société », comme ils disent. Moi, je pense simplement que ce sont des êtres humains qui, comme tout le monde, se réalisent et trouvent leur propre parcours quand l’environnement n’est pas hostile et leur permet de se construire. Quels conseils donneriez-vous a des municipalités qui souhaiter mettre en œuvre des projets similaires à celles de Strasbourg ?Ce qui est commun à tous, c’est de monter un projet qui s’ancre dans la réalité locale. Il faut être pragmatique, partir d’un état des lieux, avoir une vision intégrative et non pas d’assimilation, et considérer que ces personnes sont des personnes à part entière, avec des savoir-faire, des connaissances, une culture, elles ont peut-être déjà exercé un métier, et qu’elles peuvent aussi avoir une simple vie de citoyen là où elles sont. A la condition que leur environnement le permette. Quand vous êtes à la rue sans moyens de subsistance, que vous passez vos journées à vous demander ce que vous allez manger, où et comment vous allez dormir, ou à quel moment la police va arriver, ce ne sont pas des conditions qui permettent de se construire de manière digne ni même de se projeter dans l’avenir. Aussi, la première action à susciter est d’améliorer les conditions de vie des personnes et de mettre en place un minimum de cadres et de repères, qui sont nécessaires autant pour les personnes en difficulté que pour ceux qui les accompagnent, ou même pour l’ensemble de nos concitoyens. Remettre régulièrement les démarches à plat est aussi fondamental car les quotidiens et les histoires de vie évoluent alors très vite. Mais le préalable, fondement de la réussite, reste la confiance accordée, dans un dialogue et un respect mutuel. Merci. |